L’enjeu

Pour les personnes qui ont déjà eu des démêlés avec le système de justice pénale, il est essentiel de trouver un emploi stable pour reconstruire leur vie et éviter d’avoir à nouveau affaire au système judiciaire. Le fait d’avoir un casier judiciaire peut empêcher d’obtenir un emploi et ainsi de bénéficier de la stabilité qu’il procure. La loi canadienne permet actuellement aux gens de demander une suspension de leur casier, afin d’alléger le fardeau d’antécédents judiciaires, mais le système actuel est défaillant. Il est lent, coûteux et difficile à naviguer. Les personnes ayant commis par le passé une infraction criminelle doivent trop souvent surmonter des obstacles inutiles et contre-productifs à leur réintégration. 

Par la révision du mode de traitement des antécédents judiciaires au Canada, on augmenterait considérablement les chances d’accès à l’emploi des personnes ayant commis il y a longtemps une infraction criminelle, on transformerait des vies, on augmenterait la sécurité de la population et réduirait la discrimination systémique. 

Le statu quo au Canada est en décalage avec les données probantes et l’opinion publique.

La sécurité publique est renforcée lorsqu’on élimine les obstacles inutiles à l’obtention d’un emploi. Les données en sciences sociales montrent que rien n’indique vraiment qu’une personne ayant commis à une époque une infraction criminelle commettra des crimes à l’avenir, que ce soit sur le lieu de travail ou ailleurs. Au contraire, le fait d’avoir un emploi est un facteur de protection essentiel qui réduit considérablement la probabilité d’avoir à nouveau affaire au système de justice pénale. 

Or, les Canadiennes et les Canadiens croient aux deuxièmes chances. Selon un sondage représentatif à l’échelle nationale mené en 2020 par la Société John Howard de l’Ontario, au moins huit Canadiens sur dix estiment que les personnes ayant un casier judiciaire qui ont subi une condamnation devraient avoir la possibilité de travailler à nouveau une fois leur peine purgée. 

D’autres pays ont adopté des lois sur les « peines révolues » qui favorisent effectivement la participation à la vie active en soutenant directement la réintégration des personnes qui n’ont pas commis de crime après avoir purgé leur peine. Il est temps pour le Canada d’agir et de faire de même. 


Impacts généralisés et discriminatoires

Jusqu’à un Canadien sur neuf a un casier judiciaire avec condamnation, et beaucoup plus ont un casier judiciaire sans condamnation qui peut être divulgué lors d’une vérification des antécédents judiciaires. La population noire et les membres d’autres groupes racisés, les Autochtones, les sans-abris, les personnes ayant un problème de santé mentale ou de dépendance, ainsi que d’autres personnes marginalisées, font l’objet d’une surveillance policière et d’une criminalisation disproportionnée. Ces groupes sont donc surreprésentés dans les bases de données de la police. Les personnes racisées sont également victimes d’une discrimination cumulée au moment de l’embauche. 

Leurs possibilités d’emploi étant limitées, nombre des personnes ayant eu des démêlés avec la justice sont vouées à une vie de pauvreté et de marginalisation. Une étude récente du gouvernement fédéral a révélé que 14 ans après leur libération d’un établissement correctionnel au Canada, seulement la moitié des anciens détenus avaient un emploi et le revenu médian était de 0 $. Parmi ceux qui avaient un revenu, celui-ci était de 14 000 $ en moyenne, soit bien inférieur au seuil de pauvreté. Les répercussions sur les Autochtones sont encore plus marquées, car leur revenu moyen n’était que de 10 000 $. 

L’objectif principal de la politique du gouvernement fédéral devrait être de favoriser la sécurité et l’égalité du public en facilitant et en soutenant de manière solide, sûre et efficace les efforts des individus pour obtenir un emploi et apporter leur contribution à leur collectivité. Les personnes les plus marginalisées et qui souffrent le plus de discrimination en raison de leurs démêlés avec la justice sont celles-là mêmes qui ne peuvent bénéficier d’un pardon dans le cadre de la politique nationale actuelle. Il s’agit fondamentalement d’une question de justice sociale et d’équité raciale. 


Un système inaccessible et archaïque

La suspension du casier judiciaire, anciennement appelée « pardon », n’efface pas le casier judiciaire, mais a pour effet de le « sceller » en empêchant qu’il ressorte dans la plupart des vérifications des antécédents judiciaires. L’objectif est de favoriser la réinsertion sociale en éliminant certains des obstacles juridiques, économiques et sociaux ainsi que les stigmates associés à la possession d’un casier judiciaire. Cependant, dans son état actuel, le système de suspension du casier judiciaire au Canada est inaccessible à ceux qui en ont le plus besoin. Les frais de demande élevés, les restrictions en matière d’admissibilité, les périodes d’attente qui peuvent dépasser une décennie et un processus bureaucratique compliqué disqualifient de nombreuses personnes et en découragent plus d’une à entamer le processus. 

Le processus actuel de demande, qui consiste à décrire son passé, peut constituer en soi un obstacle majeur pour les personnes ayant des difficultés à écrire, par exemple. C’est aussi une expérience qui traumatise à nouveau les personnes dont les antécédents judiciaires résultent de circonstances tragiques, comme une crise de santé mentale ou la violence d’un partenaire dans une relation intime. 

Trop nombreuses sont les personnes qui sont laissées pour compte, incapables de tourner la page, même bien longtemps après avoir effectué des changements positifs dans leur vie. Il n’existe pas non plus de lois fédérales régissant l’utilisation des casiers judiciaires des adultes non condamnés, ce qui signifie que, dans certains territoires et provinces, on divulgue plus facilement un dossier d’arrestation ou d’appréhension en matière de santé mentale qu’une déclaration de culpabilité.